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« I'm out for dead presidents to represent me because I've never known a live one that represent me »
«JE SUIS POUR QUE TOUT UN TAS DE PRÉSIDENTS
MORTS* ME REPRÉSENTENT... PARCE QUE JE N'AI JAMAIS
VU UN PRÉSIDENT LE FAIRE DE SON VIVANT.»
*dead presidents fait références aux billets de
banque américains, sur lequel on retrouve les
visages d'anciens présidents, aujourd'hui décédés.
SHOES UP a rencontré celui qui en décembre 2012 et alors qu'il n'a que 17 ans,
refuse de signer un alléchant contrat sur le label Roc Nation d’un bien nommé
Jay-Z. Depuis Jo-Vaughn Virginie Scott, alias Joey Bada$$ fait, en toute
indépendance, un parcours sans faute et joue lui aussi dans la cours des grands du
hip hop. Maintenant, Joey …
Aujourd’hui, Bada$$ a 22 ans. Il a sorti trois mixtapes et deux albums que plus
d’un considèrent déjà comme cultes. Le dernier projet en date ? All AmeriKKKan
Bada$$ sorti le 7 avril 2017. Un album mature, politique, engagé, sur lequel souffle
un vent d’insurrection contre la politique américaine, et qui pointe plus
particulièrement du doigt celle de Donald Trump. Mais comment le MC américain
en est-il arrivé là ?
Né d’une mère caribéenne et d’un père jamaïcain à East Flatbush Brooklyn à New-York, c’est dans le quartier de Bed Stuy qu’il grandit. Il est le deuxième plus âgé d’une fratrie de cinq avec trois frères et une sœur et il est d’ailleurs le premier enfant à naître aux Etats-Unis tandis que ses parents ont longtemps vécu à Sainte Lucie.
Il a cinq ans lorsque ses parents se séparent. Sa famille connaîtra des difficultés financières ce qui poussera sa mère à jongler entre deux jobs pour subvenir aux besoins de ses enfants. Cet épisode de sa vie inspirera son morceau Devastated sorti en 2016 ou encore Paper Trail$ avec des paroles significatives telles que
« I got a dollar and a dream, know what I mean? And I gotta get my mama off the scene »
« J’ai un dollar et un rêve, tu vois ? Et il faut que je sorte ma mère de là »
En âge de pouvoir tenir un stylo, Joey s’essaie à la poésie tout en étant bercé à la pop de Prince, à la soul, au reggae et au hip-hop. C’est d’ailleurs le morceau Hypnotize du légendaire Notorious B.I.G qu’il connaît par cœur dès l’âge de deux ans qui l’incitera à emboîter le pas et à transformer ses poèmes en rap. De ses freestyles balancés sur YouTube alors qu’il n’a que 15 ans à ses sessions d’enregistrements homemade (à l’aide d’une Playstation 2 et d’un condensateur USB), il forge ses armes et son flow de prodige.
Ses années lycée à la Edward R. Murrow High School (établissement public célèbre pour ses programmes en musique, théâtre et media), l’amèneront à se lier d’amitié avec d’autres artistes et aficionados jusqu’à former le désormais fameux crew Pro Era. En effet, ce groupe d’amis devenu collectif comprend aujourd’hui une vingtaine de membres dont des musiciens, producteurs, graphistes et photographes mais, à l’origine, fut fondé par Joey Bada$$, CJ Fly, Powers Pleasant puis Capital STEEZ. Ce dernier s’étant ôté la vie à l’âge de 19 ans un 24 décembre 2012 pendant l’ascension du label, le crew connaîtra une triste période de deuil et rendra multiples hommages à leur ami
La première mixtape de Joey 1999 sort en 2012 et est certifié deux fois disque de
Platine. Si ses influences 90’s se font clairement entendre, c’est sans doute l’un
des constats qui agace le plus le rappeur qui se dit vouloir arrêter d’être associé à
tel style ou telle époque et qui prône vouloir être reconnu pour son art et non
celui d’un autre. Et le moins que l’on puisse dire est que son art, souvent acclamé
par la critique, marque un tournant dans cette nouvelle génération de rappeurs
New-Yorkais.
Cet album introspectif sur lequel l’artiste dévoile des morceaux tels que Christ Conscious, Paper Trail$ ou encore Piece of Mind laisse transparaitre le témoignage d’un enfant black de 20 ans qui grandit au sein d’une amérique marquée par la prospérité d’une société blanche et les difficultés qu’engendrent parfois sa couleur de peau. L’engagement et certaines références s’affichent doucement dans certaines lyrics
“Put our backs on the fence, so we self defence, Followed by a series of unfortunate events, Looking like white America got a brother again”
«Vous nous mettez le dos sur la clôture donc nous nous défendons. suivi par des séries de malheureux événements, regardez comment l’amérique blanche a retrouvé un frère»
dans Piece of Mind ou encore une référence dans Black Beetles à Martin Luther King ou encore à Marcus Garvey, millitant jamaicain ayant œuvré toute sa vie pour l’union et l’émancipation de la diaspora africaine aux Etats-Unis.
“Who would've thought a marchin' Martin could spark a starvin' artist / Spit art, at heart young Marcus Garvey ”
«Qui aurait imaginé ce qu’un certain martin manifestant aurait suscité chez un artiste affamé / de l’art craché au jeune cœur de marcus garvey »
Le 11 février 2015, Joey Bada$$ dévoile le puissant clip de Like Me dans lequel on trouve des
références à des black américains non-armés abattus par la police, notamment à Micheal
Brown (Affaire de Ferguson) ou encore à Trayvon Martin tué à l’âge de 17 ans en 2012 en
Floride. En effet, dans la vidéo de 5minutes, on y voit le rappeur vivre une romance qui vire
au drame avec l’ex-petit ami de sa nouvelle copine. Tandis que ce dernier tire
accidentellement sur la jeune femme, la police l’abat. Alors que Bada $$ s'enfuit, désarmé, la
police l'arrête et lui tire dessus lorsqu’il lève ses mains en l’air. Mais si cet opus recèle d’une
dimension politisée, les prises de position de l’artiste s’affirment clairement en 2017 avec un
album lourd de sens :
Un titre d’album qui fait tout d’abord allusion au Ku Klux Klan comme Ice Cube
l’a fait en avril 1990 à la sortie de son album très politisé AmeriKKKa's Most
Wanted. À noter également que cette référence avait déjà été reprise par le membre
disparu de Pro Era, Capital STEEZ cinq ans auparavant. En effet, AmeriKKKan
Korruption sera la première et unique mixtape de Capital STEEZ dans laquelle il
attaquera de manière très virulente les institutions politiques et religieuses.
Le 20 janvier 2017 marque le jour de ses 22 ans mais aussi le jour de l'investiture du 45ème président américain aka Donald Trump, “Le pire cadeau d’anniversaire de tous les temps” nous confie-t-il, Ce jour là, Joey Badass dévoile le morceau Land of the Free. Deux mois plus tard, le clip qui ne se cache pas derrière l’implicitement correct tombe sur la toile et fait l’effet qui se doit être : un véritable coup de massue à l’encontre du système.
“Le clip était entièrement mon idée. On essayait de capturer le sentiment et la direction qui sont inhérents à cet album. On a d’abord juste shooté des photos pour la couverture et le livret, mais notre budget était tellement élevé qu’on a décidé d’en sortir une vidéo. C’est une jolie erreur, mais au final, pas vraiment une erreur si tu vois ce que je veux dire.”
nous explique t-il. Une douce erreur qui fera en l'occurrence naître un clip poignant. Ici, sous l’œil avisé de Badmon lui même et du réalisateur Nathan R. Smith, on le découvre tantôt au beau milieu du désert entouré d’hommes black enchaînés, tantôt dans un paysage verdoyant en train de s’adresser à des enfants et de leur dire le doigt levé
« Obama just wasn't enough, I just need some more closure And Donald Trump is not equipped to take this country over »
« OBAMA N’ÉTAIT JUSTE PAS ASSEZ, J’AI JUSTE BESOIN DE PLUS DE PROMISCUITÉ. ET DONALD TRUMP N’EST PAS ÉQUIPÉ POUR DIRIGER CE PAYS »
Le scénario quant à lui se veut violent et dénonciateur. Des policiers et des hommes en costumes exécutent froidement les hommes blacks enchaînés. Une autre scène dévoile des hommes vêtus des tenues du Ku Klux Klan en train de pendre un homme lors d’un rite lugubre tandis que les membres de la secte se révèlent en fait être les policiers et politiciens.
Si les années 60 ont bien entendu été marquées par la ségrégation raciale et des mouvements extrémistes particulièrement barbares, Bada$$ n’hésite pas à pointer du doigt le racisme ambiant qui sévit encore.
« Ce que je peux dire, c’est qu’évidemment, on a connu des “améliorations” quant à la violence physique, mais on est encore loin du compte. Il y a encore des flics ou des blancs qui tuent des noirs car ils pensent que leurs vies ne valent rien. Ce que je peux ajouter aussi, c’est que le racisme d’aujourd’hui est plus subtil, plus caché. Une grande partie de la frustration des gens de couleurs vient du fait que l’on vit chaque jour des expériences racistes, mais le prouver au reste du monde n’est pas chose facile, car justement le racisme est dissimulé. Tu vois le truc? Impossible de le savoir à moins que tu sois une personne de couleur. Alors qu’avant, les choses avaient au moins le mérite d’être explicites. Des “No Blacks” affichés ici et là. Aujourd’hui, les situations sont différentes. »
C’est ainsi qu’il s’érige en tant que porte parole d’une amérique noire effrayée tant bien par les White Supremacists, que par le manque de liberté et de protection des plus faibles
”J’utilise ma voix premièrement parce que je peux. Ensuite, car je suis passionné par tout ce que je fais et par les sujets que j’aborde et je pense que c’est être bénéfiques pour les gens. Et troisièmement, je parle pour ceux qui ne peuvent pas parler pour eux-même. Pour finir, je n’aimerais pas être un politicien. Je n’aime pas la politique, je considère ça comme un vulgaire tour de passe passe. Je ne crois pas que la solution soit là-dedans. La politique c’est le contrôle, la désinformation. Je pense que les gens sont la solution. On a l’impression d’avoir besoin d’être gouvernés, alors qu’on a juste besoin de se gouverner sois-même. On a suffisamment de morale et d’intelligence pour le faire aujourd’hui.”
She critical, exactly what made my niggas criminals
Elle critique exactement ce qui a rendu mes niggas criminels
Typical AmeriKKKa, damn sure ain’t no miracle [...] the Presidents, the Congressmen, the Senators
Typique amérikkke, putain c’est sûr qu’il n’y a pas de miracle [...] les présidents, les hommes du congrès, les sénateurs
Who got us slavin’ while they reapin’ all the benefits
Qui nous réduisent en esclavage tandis qu’ils tirent tous les bénéfices
Got the world thinkin’ that it’s true ‘bout what they said for us
PErsuadent le monde à penser que ce qu’ils nous ont dit était vrai
Par ailleurs, Badmon n’hésite pas non plus dans son titre Temptation, à mettre en avant l’émouvante plaidoirie de Zianna Oliphant, une enfant de 9 ans entendu par un congrès lors du décès de Keith Lamont Scott, abattu par un policier à Charlotte en Caroline du Nord.
The government been tryna take away what’s ours
Le gouvernement a essayé de s’emparer de ce qui nous appartient
It’s really all about the money and the power
Tout est vraiment une question d’argent et de pouvoir
I just wanna see my people empowered
J’aimerais juste que mon peuple ne soit plus sous cette emprise
Avec cet opus, Joey Badass “souhaite faire de la musique pour que le futur soit meilleur”, avec bon espoir pour que les choses changent. C’est aussi à l’instar de bien des artistes engagés dans cette lutte contre le racisme et du système que le MC de 22 ans s’est inscrit et compte bien ajouter sa pierre à l’édifice. “ C’est très important lorsque tu en as l’opportunité, de parler pour ceux qui ne peuvent rien dire. ”
C’est dans le titre Good Morning AmeriKKKa que le rappeur s’adresse directement à la communauté américaine en leur demandant clairement
« Wake Up, Wake Up, I said wake up »
« Réveillez vous, réveillez vous, j’ai dit réveillez vous »
« J’aimerais que les gens ouvrent les yeux sur ce qui ne va pas et sur ce qu’il se passe aujourd’hui. Du lavage de cerveau à la propagande, en passant par les guerres de civilisations et le terrorisme. »
se désole-t-il.
Si tu étais président, quelle serait la première chose que tu ferais ?
Hummm. Je ne sais pas. J’y ai jamais pensé. Je pense que je courrai à poil autour de la Maison Blanche (rires)
Qui serait ton vice président ?
C’est une excellente question ! (rires) Je choisirais surement Killer Mike de Run The Jewels en tant que VP. Il sait de quoi il parle et il serait un partenaire génial avec qui partager des idées. Il saurait comment me conseiller.
Qui serait ton éminence grise ? (ndlr : un conseiller politique qui reste dans l’ombre)
Surement mon poto Nasty, car il est juste trop intelligent.
Que penses-tu des armes ? Devraient-elles être régularisées au US ?
Je ne crois pas que ça devrait être interdit. Je veux dire, même dans les pays où ça l’est, il y a des tireurs fous. Je ne suis pas contre, et personnellement, j’apprécie les pistolets. J’aime aller au stand de tire et shooter. Mais je n’aime pas tirer sur les gens bien sûr, j’aime juste le côté sportif du truc. Je n’ai jamais chassé et je n’aime pas l’idée qu’on tue un animal - je n’aime pas l’idée de tuer quoi que ce soit - mais voilà, pour la protection personnelle, de tes biens, de ta famille, ouais, j’y crois. On devrait respecter les lois sur le port d’arme, et les rendre plus précises aussi. Tout le monde ne peut pas avoir accès à une arme. Acheter un lance-roquette devrait être interdit par exemple. Ca devrait être comme le permis de conduire, tu le passes et tu conduis ce pour quoi tu as passé un examen.
Si tu vivais à la Maison Blanche, tu y changerais quoi ?
Je repeindrais le tout en noir. Et je l’appellerai La Maison Noire ! (rires)
Il y a cette légende sur le livre secret passé de président en président. Si c’est réel, tu penses qu’il y a quoi, dedans ?
Des trucs sur les aliens (rires)
Et ce que tu aimerais y écrire ?
Que les aliens existent ! (rires)